♣ Histoire :
La pluie, c'est joli. Fleur de Pêche avait toujours aimé la pluie, si bien que pour la taquiner, ses amis disait qu'elle devait avoir des gènes du Clan de la Rivière. La jolie chatte au pelage blanc était du genre très appréciée par ses congénères : toujours là pour aider, à rire pour un rien et à entraîner les autres dans ses amusements, parfois considérée comme trop enfantine ou irresponsable. Un peu étrange pour la fille du chef de Clan, mais on ne lui en voulait pas, au contraire, on s'attachait à elle, on recherchait sa compagnie et on se reposait sur elle en toute circonstances.
Elle avait grandie dans le Clan du Tonnerre, entourée de ses amis, et tout particulièrement de Plume de l'Aube et Fine Moustache : la première, sa meilleure amie, était comme sa sœur. Le deuxième, un matou à la bienveillance incroyable et à la gentillesse sans égal, lui inspirait un sentiment inconnu depuis toujours. Oui, Fleur de Pêche était amoureuse, vous avez bien saisi le sous-entendu.
Lors de leur apprentissage, les trois amis étaient inséparables : entre petites disputes et quiproquo, ils passaient leur journées ensemble sans se lasser. Fleur de Pêche, les yeux rivés sur Moustache Fine, avait de plus en plus de mal à étouffer ses sentiments. Mais l'amour qu'elle portait à son meilleur ami n'était pas réciproque, et pour cause. Elle était aimée, appréciée de son Clan tandis que ses amis n'étaient que des chats "ordinaires". Ordinaires. Ce qui les avaient incroyablement rapprochés.
C'était un beau jour d'été... Les trois apprentis étaient partis chasser ensemble un jour avant leur test final pour devenir guerriers, et Nuage de Pêche, ayant repéré une proie au pied d'un arbre s'était éloignée du groupe.
« Un pas en avant... Deux... Et... BOUM!» la jeune chatte sauta sur le mulot qui eut juste le temps de pousser un petit cri avant qu'elle ne l'achève. Tout fière, elle attrapa sa proie entre les dents et se dirigea vers la clairière où elle venait de laisser ses amis.
« Ah!... Tu es de retour Nuage de Pêche! »
Un sourire naïf sur le visage, Nuage de l'Aube s'écarta vivement de Nuage Fin. Celui-ci lui lança un sourire gêné, et n'accorda pas un regard au mulot que Nuage de Pêche venait de lâcher sous la surprise et qui était tomber avec un bruit mat sur le sol sablonneux de la clairière.
« Je... suppose que tu as compris. » gloussa Nuage de l'Aube. « On a décidé d'être compagnons! N'est-ce pas génial? » après cette déclaration, la jeune chatte au pelage écaille se rapprocha de l'autre et fourra son museau dans son pelage comme ils le faisaient quelques secondes plus tôt.
« Oui. Absolument génial. » Nuage de Pêche ramassa sa proie pour éviter de se forcer à sourire et ils continuèrent leur chasse sans un mot. Les deux tourtereaux marchaient désormais fourrure contre fourrure, mais pourtant Nuage de Pêche sentait le regard perçant de Nuage Fin dans son dos.
Il savait?... songea-t-elle, honteuse, des larmes amères au coin des yeux, mais qui refusaient de tomber.
« Plus jamais je ne tomberait amoureuse. Plus jamais je ne tomberait amoureuse. Plus jamais je ne tomberait amoureuse. » Mais c'était trop tard, le mal était fait. Une griffe lui arrachait le cœur à chaque fois qu'elle entendait le rire de ses amis qui s'éloignaient ensemble en forêt, et, une fois une portée née, les cris des petits qui leur ressemblaient tellement. Les yeux bleus de son amie écaille, les poils dorés du chat qu'elle aimait. La seule survivante de la portée était magnifique.
De son côté, Fleur de Pêche aussi avait eu des petits : un chat lui avait avoué ses sentiments et elle n'avait pas eu d'autres choix que d'accepter d'avoir une descendance, c'était dans l'intérêt du Clan. Il était aimant et attentionné, toujours là pour elle. Mais le chat noir, Aile de Jais, n'était pas celui qu'elle voulait auprès d'elle. Au fond, elle se sentait tellement coupable quand elle lui envoyait des piques désagréables et des paroles blessantes, mais cela la soulageait à tel point que cela devenait une habitude. Le mâle noir ne disait rien. L'amour est une drôle de chose.
Et puis, il y a le moment où tout s'écroule...
Plume de l'Aube mourut du mal vert alors que sa fille n'était pas encore sevrée, et le chef du clan proposa à Fleur de Pêche de s'occuper de la petite.
« J'en prendrais soin comme ma propre fille. »
Si seulement elle l'était... se retint-elle de hurler, ses yeux glacés cherchant ceux de Moustache Fine. « Je suis désolée, Moustache Fine. »
Un froid s'était installé tout de suite entre eux. Et puis la petite avait grandie, avait quitté le nid, tout comme les propres enfants de Fleur de Pêche. La jeune chatte aux yeux bleus qui n'avait plus de mère n'était pas spécialement talentueuse, elle était une chatte banale et naïve. Pas spécialement aimée, elle passait inaperçue dans le Clan, tout comme sa mère à l'époque : et tout le contraire de Fleur de Pêche. Celle-ci se mit alors à détester la petite chatte. Elle commença à lui parler sèchement, lui rappelant sans cesse le souvenir douloureux de sa mère, n'hésitant jamais à saisir une occasion de l'humilier... Mais la petite continuait de la regarder sans comprendre, de ses grands yeux naïfs, et la mémoire de Fleur de Pêche lui fit mal, trop mal. Elle se souvint de ce regard, dans les bois, la veille de leur test final d'apprenti et... elle bondit sur la petite chatte. Planta ses dents dans sa gorge. Les larmes amères commencèrent enfin à couler, son cœur se serra, et la dernière chose qu'elle sentit contre elle fut le pelage et l'odeur de Moustache Fine : « Fleur de Pêche! FLEUR DE PÊCHE! »
...
Fleur de Pêche. Une étoile qui brilla tellement vivement que personne ne comprit qu'elle aussi, était capable d'aimer. De haïr. De tuer.
La fille de Plume de l'Aube était encore en vie, fort heureusement, grâce à l'intervention de son père, qui s'était battu sang et croc contre la mère adoptive devenue folle. Le lendemain matin, un beau jour de pluie, cette pluie qu'elle aimait tant, celle-ci avait disparue : plus jamais on entendu le nom de Fleur de Pêche. Celle qui avait trop aimé. L'amour est une chose bien étrange.
« Papa, est-ce que ça va?
- Oui. Ne t'inquiète pas, Nuage de Caprice, tout va bien. Tout ira mieux maintenant, je te le promets. »
La petite se coucha contre son père. Tout ira pour le mieux, il l'avait promis. C'était l'heure de dormir maintenant. L'heure d'oublier le nom de celle qui avait essayer de la tuer. Fleur de Pêche. C'était pourtant un très joli nom.
« Pourquoi est-ce que je m’appelle Nuage de Caprice?
- Pour que tu n'oublies jamais de t'accrocher à ce à quoi tu tiens.
- Pourquoi est-ce que tu pleures, papa?
- J'ai perdu une amie aujourd'hui.
- Qui ça?
- C'est l'heure de dormir, tu as déjà oublié? »